Émile Newspapp, Roi des Masses. Novella. Jacques Renaud.

La source de l’illustration, c’est un exemplaire du Journal de Montréal trouvé chez un excellent garagiste (le garage Racine à Saint Jean de Matha, dans Lanaudière, au Québec). L’exemplaire date du 15 septembre 2009, et l’illustration est à la page 55.

Note de Loup :

Cette nouvelle de Jacques Renaud, devenue une novella (le texte commence un peu plus bas) a été publiée dans une première version en 1988 ou 1989, sous le titre «Une journée dans la vie du poète Émile Newspapp», dans la revue Le Québec Littéraire, dirigée, à l’époque, par l’écrivain québécois Jean-Claude Germain; puis en 1989 dans le recueil de nouvelles L’Espace du Diable. Le texte était plus court, c’était plus une nouvelle qu’une novella.

On va pas se fendre sur cette distinction, mais le fait est que la nouvelle originale a été abondamment ré-écrite et augmentée récemment, en juillet 2011, par l’auteur, et le texte ré-écrit et emblogué plus bas est significativement plus long que l’original. Il est numéroté en courts chapitres, comme Le Cassé, ou comme L’Espace du Diable, histoire d’un chien-garou marginal (1989). On peut appeler ça une «novella». Jr utilise toujours le mot «novella» au féminin: «un novella», peut pas s’y faire. Moi non  plus. On aurait pu aussi intituler la présente ré-écriture: «Une journée dans la vie du poète Émile Newspapp, prise 2», mais le nouveau titre convient bien quand on lit tout le truc. Les manchettes et les photos mentionnées dans la novella (ces photos malheureusement n’apparaissent pas ici, on n’a pas pu les retrouver) sont celles des journaux qui sont cités dans la novella à la date où se déroule l’action.

Je vous présente Émile Newspapp, Roi des Masses.

Loup.

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Émile Newspapp, Roi des Masses

novella

Jacques Renaud


© Copyright 1988, 1989, 2011 Hamilton-Lucas Sinclair (Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe), cliquer.  Essentiellement: toute exploitation commerciale interdite.


1

Ce matin-là, Émile Newspapp écrivit rapidement un poème dans son cahier sur le coin de la table:

«Les journaux passent
«et remplissent ma vie;
«leur encre me tient en vie!

«Ah! leur encre me lie
«en me tachant les mains!
«Ah! leur attachante encre!
«ah! le mou moule de vie,
«ô toi, ma gigantesque masse-médiante textuée!
«ô toi, ma masse-concubine parlante-imprimée!»

2

Cry of the Masses de Joseph Váchal. Source: cliquer sur l’illustration.

Newspapp ne se relut pas. Son poème le déprimait.

Il se secoua, cala son café, sortit de la chambre où il habitait seul.

Il se retrouva dans la rue et se précipita, comme chaque jour, à La Maison de la Presse Internationale.

C’était un radieux vingt septembre 1988; mais ce n’était pas ça qui faisait courir Newspapp: c’était les journaux.

Il lui fallait sa ration quotidienne de journaux. Sans quoi la journée ressemblerait à une baloune plate dégonflée.

Il avait d’ailleurs exprimé cette idée, et quelques autres, dans une série de remarquables réflexions qu’on a retrouvées dans une poche de son pantalon; il les destinait à la postérité. En voici une (vous pouvez sauter ces notes d’Émile Newspapp, quoiqu’elles puissent peut-être éclairer – ou carrément obscurcir, je l’admets – le destin d’Émile Newspapp) :

«Ah! réanimation quotidienne de la masse-concubine textuée, ô journaux, ô télé, ô radieuse Nounou des matins morts qui renaissent! Ah! te lire en entier chaque jour! Les nouvelles des journaux, de la radio, de la télé, nous gonflent le ventre, nous montent à la gorge, peuplent nos neurones, ondulent devant nos yeux comme des anges qui colleraient à nos sourcils et à nos cils en comblant d’aise notre ignorance soudain documentée, excitée, grossie d’aise et bénie par toi, ô masse abondante de choses écrites, imprimées et parlées dont tu nous bourre, nous bouscule et nous caresse en nous déglutissant, pourrait-on dire, dans le vaste estomac pulsant de tes savoirs si sophistiquement régurgités dans le bocal blanc de nos crânes qui en redemandent, ô oui – ô langueur suave de tes irrésistibles ensalivements continus! ô vaste ogresse aimée!» — Émile Newspapp. [Note de Newspapp inscrite en marge: «Superbe! Relire. Exaltant.»]

3

Émile Newspapp pénétra dans La Maison de la Presse Internationale, se précipita vers l’étagère au bas du comptoir, mit la main sur Le Devoir. Non sans un sentiment d’aplatissement de la baloune: rien n’est parfait. Puis il s’empara, d’une main tremblante, d’un coin du quotidien La Presse qu’il souleva lentement comme un jupon.

Émile Newspapp jeta un coup d’oeil à la manchette qu’il aperçut:

«Trou de $25 millions à la STCUM»

«Cher», se dit Émile, en songeant un moment que le coût total allait atteindre $0.85 s’il achetait les deux journaux, Le Devoir et La Presse, mais il ne pouvait résister: s’il y avait, dans La Presse, des nouvelles, ou des commentaires, ou des aperçus importants absents du Devoir?

4

Voici une autre réflexion de Newspapp retrouvée sur lui (vous pouvez sauter ces notes d’Émile Newspapp, comme je disais plus haut, elles ont tendance à rompre le rythme ou le fil de l’histoire, mais elles l’éclairent; en tout cas elles seraient sensé le faire) :

«Oui, je les chéris ces nouvelles: c’est mon royaume, ma manne, ma paparmane. Sans elles, sans ces nouvelles coulantes, si bien construites, si polies, je le redis, notre ventre serait plat comme une galette et notre gorge vide comme un tuyau d’orgue post-révolution tranquille.» — Émile Newspapp. [Note de Newspapp inscrite en marge: «À démontrer, en ce qui a trait à l’état de la gorge et du ventre. Surtout du ventre. Le reste est grandiose.»]

Émile Newspapp lorgna du côté de The Gazette.

Il trouvait ce journal humiliant.

Newspapp, en dépit de son nom, était francophone, quoique de descendance teutonnante prétendait-il souvent en se parlant à lui même et en se disant parfois «schnell» ou même «ein bischen».

Il trouvait The Gazette humiliant.

Non seulement ce journal anglophone s’était-il déjà permis, au Québec, de dépasser au tirage, pendant un temps, La Presse de monsieur Desmarais, cet homme respectable, honnête, riche, franc et puissant, mais les nouvelles qu’on trouvait dans La Presse elle-même n’apparaissaient souvent que trois ou quatre jours plus tard dans celui des journaux qu’il lui fallait, en tant que poète québécois francophone – et anglophone teutonnant, ce qui compliquait les choses – chérir plus que tous les autres: Le Devoir. Mais qu’importe. Ce qui comptait, c’était d’entasser le plus d’informations et de commentaires possibles, en français, en anglais, se nourrir abondamment en se sauçant dans ce que Newspapp appelait parfois solennellement «le moule de la masse-concubine médiante aimée» – en allongeant toujours le «ou» comme dans «mou-oule» : l’amour-passion n’a pas seulement ses raisons, il a ses roucoulements.

Ainsi, tous les matins, le poète Newspapp faisait l’effort de se rappeler l’effort que tout homme cultivé, et surtout un poète symboliste romantico-gothique classico-punkant urbanisant post-moderne, se devait de faire quant à la «chose» écrite: peu importait que l’on achète aussi des journaux de langue anglaise, l’important était d’être informé, d’élargir et de gonfler l’esprit, d’être au-dessus des petites mesquineries nationales, quitte à en embrasser sans hésitation de plus grandes, voire planétaires et grandioses, à satiété – jusqu’à la gloire finale de l’esprit et du corps magnifiquement embullés, la gloire étant à ses yeux une sorte d’anagramme de «galère» par la structure consonnantique «grl» des deux mots – et on pouvait alors parler de «girl», de «guirlot», de «glouère», vouère de «galère» ou de «galouère» – ce dernier mot, en référence au clapotis ramant des choses, on l’aura deviné – et tous ces mots l’exaltaient tout autant les uns que les autres, entre autres par les grandioses connotations sacrificielles de naufrages, de rédemptions, de chutes impériales et de catastrophes cosmiques et sociales que «glouère» et «galouère», entre autres, jumelaient et éveillaient toujours en lui. De plus, ces mots ne rimaient-ils pas avec «nouèr»?

Voici d’ailleurs une autre des réflexions de Newspapp retrouvées sur lui (vous pouvez sauter ces notes d’Émile Newspapp, etc., etc. quoique, etc.; je dois avouer que je devrai relire plusieurs fois ces courts chef-d’oeuvres philosophico-mongolfiants pour en bien saisir toute l’artistique et boursoufflante montée et toute la torsion logique):

«Le poète vulgaire dirait sans doute que, sans les nouvelles des médias, nous ne serions plus qu’une baloune plate et dégonflée. Ô, sacrificielle galère de glouère!» — Émile Newspapp. [Note de Newspapp inscrite en marge : «Démontrer la platitude ignare de l’homme en tant que baloune qui se dégonfle quand il opte orgueilleusement pour un vécu en état d’a-masse-médias, soit un état poussé de privatitude de nouvelles, éloquemment souligné ici par le numineux «a» privatitudisant – état paradoxal et brouille-sens, admettons-le sans trembler – ô terreur vertigineuse de cet orgueil, ô terreur salutaire du ce-qui-me-priverait de surabondance de colonnes de nouvelles impeccablement cordées, de signes encrés si finement alignés, de tout ce sentiment fugace, brutal et délicat du martial inébranlable et diffus, du libéral anticommunistant lisse et huilant, du vrai-dit qu’on markète en permanence et qui persiste, de l’indiscustable discutant-discuté de nos sociétés fixes-mouvantes, oui! ô terreur vertigineuse du “a” privatant qui nous guette tous et que la presse occit en nous encrant d’ondes et en nous noyant de savoirs!»]

5

«Free Trade deal sails through US Senate», titrait The Gazette, juste à côté d’une photo qui horrifia Newspapp tout en éveillant en lui, courtement, fortement, mais nettement, un  sentiment amoureux qui le mit presqu’en transe – s’il n’y était pas déjà: cette photo, on aurait dit des tripes arrachées à quelque énorme animal, lourdes, sanguinolentes, soutenues en l’air dans un espace invisible au-delà du cadre supérieur de l’illustration, peut-être par des crochets. Oui! Des crochets. Quoi d’autre?

Émile Newspapp pensa à la façon dont Adolf Hitler avait fait mourir les chefs d’un complot d’assassinat contre sa personne en 1944 : en les pendant à des crochets de boucher. Newspapp se rappela les biographies d’Hitler qu’il avait lues, celle de John Toland, et l’histoire du Troisième Reich de William Shirer, et toute une pile de bouquins usagés sur le sujet qu’on trouvait partout en format de poche pour dix cents ou trente-sous: il en était friand et savait en savourer et en apprécier la poussière, l’oxyde, l’érudite odeur de moisi.

Un instant, Émile Newspapp songea que les anglophones étaient un peu comme les juifs des nationalistes francophones, tout comme les francophones des autres provinces l’étaient pour les orangistes et les anglos: les anglophones n’étaient-ils pas arrogants, distants, riches et minoritaires? Oui, bien sûr. À part les pauvres? «Il y a des pauvres arrogants! … Non mais.»

Voici une autre des réflexions de Newspapp retrouvées sur lui; celle-ci est particulièrement ouffante (vous pouvez sauter ces notes etc., etc. quoique etc., etc; personnellement, faudra que je relise plusieurs fois «pour m’en bien ensaisir», comme l’écrirait peut-être le grand poète) :

«Comment amasser de la masse-médiatisante à profusion tout en s’en privant? Torture du faire-non-faire! Oui, comment? Sinon, par un tournoyant retour torticolissant du concept, en s’en a-privant derechef, bouche bée, et en accueillant de nouveau humblement le retour de l’indispensable grosse bouchée de savoirs! On échappe pas à la touchante cacasserie de la masse-concubine masse-médiatisante, on échappe pas à sa resplendissante gueule de fric postillonnante, résonnante d’ondes parlées et dégorgeante d’impressions ancrantes en colonnes textuées martialement alignées, je l’ai dit déjà – ce hurlement de fond de la masse-concubine massante-médiatisante exprimant férocement le salivant appétit surmaternant qu’elle nous porte en nous surprotégeant-nourrissant-bécotant – ô caresse bénie –  avec un renversant succès de succion, laquelle est tentaculairement sectionnée par cahiers, lesquels gèrent, par élégants attouchements de manchettes savamment étudiées, les diverses bouches entrouvertes de nos neurones – ah! boire de la connaissance bien rodée, par le crâne et par ses milliards de petites bouchettes! ah! tendres sons de ces milliards de cuis-cuis bavants qui volettent et qui mangent les p’tits vers offerts ainsi aux milliards d’oisillons qui crient dans nos têtes comme des cons et qu’il faut assagir en les gavant d’instruction! ah! l’insatiable buvard palpitant de notre pas-savoir qui, d’instinct, aspire au plein, s’engoiffre, croît, ballonne et s’envole – et ce croquement quotidien savoureusement avide, ces dents mentales qu’on plante dans les innombrables embouts lactés de la géante masse-concubine médiatisante, quoique pas-vraiment-concubine-de-moi-seul-encore, mais ah! ce salivant appétit de connaître qui nous enserre, nous engriffe, nous mastique, nous exalte, nous enjouit, nous hyperorgasmise, nous nourrit, nous pourrigâte en ce surabondant bonheur de l’ère et nous aspire en son vaste jouissoir dictant! Ô irrésistible odeur persistante du toaster et de l’emmarmeladissement solennel du pain quoditien matinal qu’encarbonisent méticuleusement les filaments électriques rougis qui attouchent comme des doigts filiformes, effilés, la surface entière de la mie dont l’émiettement crisse bientôt dans l’assiette en accompagnant, comme autant d’encodages soigneusement dispersés, la multiplication de nos opérations neuronales cliquantes! Comment dire?» — Émile Newspapp. [Note de Newspapp inscrite en marge : «Démentiel! Illuminant! Et surtout cette question, à la fin, ce désarmant “Comment dire?” J’en suis pantois, il me semble.»]

6

Pendant qu’Émile Newspapp examinait la photo des tripes publiée par The Gazette, le poète fut envahi par l’idée que les comparaisons qu’il avait faites entre les anglos et les francos étaient peut-être outrancières. On exagère parfois.

Non seulement les anglos, après avoir joui de tous les indécents privilèges dont on parlait souvent, étaient-ils en train de les perdre pour vraiment devenir, cette fois, la minorité la mieux traitée au monde – mais pas plus – mais les Canadiens-français, eux, qui n’avaient pas cessé d’être, depuis des siècles, la majorité conquise amollie la plus habilement asservie de l’Histoire, risquaient de devenir, en même temps, le groupe unilingue bilinguisé sans descendance le plus disparu au monde. Mélangeant. En tout cas, c’était ce qu’on disait dans les journaux: trop d’anglais dans l’air et sur papier allait un jour transformer les francos en six millions d’individus disparus. The Gazette, elle, ne disait pas ça, elle disait le contraire: à savoir, que trop de français dans l’air et sur papier allait un jour transformer les anglos du Québec en centaines de milliers de créatures bilingues, comme les francos. Ça, jamais! «Exaltants, ces débats dont les médias nous massent ardemment», se dit Newspapp, «mais difficiles à suivre, parfois, de par leur captivante dyslexie pathogène. Ah! Qu’importe! Ô passionnants débats de société qui, à la fin, nous laissent grandis et pantois d’concepts voletants, nus d’pensée, ouverts aux vents, couverts de saine rage et d’orgueil bredouillant, l’oeil hagard, et plus informés, plus parlants,  plus profondément cultivés que jamais!»

Émile saliva, excité. Tangua un moment. Une sorte d’étourdissement. $1.35. Les trois journaux allaient lui coûter $1.35.

Voici une autre des réflexions de Newspapp retrouvées sur lui (vous pouvez sauter ces notes quoique etc., etc.) :

«Toute passion médiatique est a-privation sacrificielle bourrante, auto-cannibalisme entourloupé jouissif – ce qui, à la fois, m’enjouit, m’entrouble, me capte et me garde en ce sein muant de l’appât-concubine masse-médiatisante omniprésente totale. Ah! torture de ton enveloppante absence! ah! jouissance du contredit-dédit qui, quoique dit en tant que tel, se voit soudain de nouveau dédit, voire même adit, pfuit, puis redit, parfois menti, oui, mais démenti aussi, ah! et rementi-redémenti, donc redit et redédit-dédit, mais cependant dit de par ce redédit-dédit même! insistons-y! admettons-le! quel bonheur quand la vérité, enfin, éclate en milliards de voletants morceaux, fuyant en poussières en tous sens, par la grâce des grands vents retrouvés, vers le bonheur d’inaccessibles confins! Et s’il est un signe de la nécessité civilisante et occidentalisante de la chose, c’est que, chaque jour, se produit en nous, grâce à cette nécessité jaillissant de nous et de la Nounou – ah! jeu de mots! – et d’un omniprésent athéisme athéisant créateur invisible et tout-puissant, en nous induit par la Nounou – ah! encore ce jeu de mots hi! hi! – c’est que, disais-je, chaque jour se produit en nous l’indispensable couac audio-visuant auquel nous aspirons sans cesse, du plus profond de notre inexistant être immortel, et se perpétue, en nous, le soubresaut tendre et lacté, crachetant et fort à point suri, le soubresaut, disais-je, du tendre rot post-tétée d’antan qu’une tape dans l’dos jadis projetait au fond des galaxies de la mémoire et des plus insupportables et torturantes nostalgies! Maintenant, et désormais, nous avançons, de la naissance à la mort, par ce couac répété et ce rot revenant des confins de l’être et qui remonte en pétant, vers l’ultime Couac audio-visuant, vers l’éclatement pfuitant final du ouinon total tout-accomplissant! Ah! cet épluchement profond de l’oignon des choses! Ah! concepts polytorticolissants!» — Émile Newspapp. [Note de Newspapp inscrite en marge : «Cette réflexion semble vouloir m’entraîner dans les velours mouvants de l’effrayant. Ça doit être une demande en mariage codée. Ô ma pas-vraiment-concubine-à-moi-seul-encore, ma quête, ma broue débordante irisée de savoir, mon savant amas de bulles froides et glissantes sur le verre du bock qui crisse au bout de l’ongle pensif attouchant par conduction le froid de la bière versée! J’en frémis il me semble.»]

7

Les histoires de langues, et le calcul du coût total des journaux, avaient momentanément distrait Newspapp de la contemplation de la photo sanguinolente qui illustrait la une de The Gazette. Émile Newspapp revint à cette photo des filaments viandeux, avec, encore, ce sentiment amoureux excitant et inattendu qui montait en lui chaque fois; il lut, troublé, le titre qui coiffait la photo:

«Phone lines to south shore severed»

–  Ah!, fit Émile, en portant la main à sa poitrine.

Son coeur avait fait un court plongeon. Un court moment d’arythmie. Une sorte de ploupe papeloupe papeloupe ploupe ploupe. Comme si le coeur coulait. Le vendeur s’était tourné vers Newspapp. Un instant. Newspapp ne fit pas attention. Il parlait bien tout seul chez lui, il pouvait bien se permettre un petit «ah» solitaire en public ou un p’tit ploupe ploupe psychosomatique.

Newspapp s’absorba de nouveau dans la contemplation émue des lignes téléphoniques tranchées, tranchouillées, taillées dans leur vif par les grévistes de Bell Canada («quel joli nom pour une géante …»), ces fils de téléphonie qui se confondaient, de manière frappante, avec des sortes de tripes filandreuses. Et il y avait ce mot, «severed», qui clignotait dans sa tête. «Bell Canada sevîrde», murmura Newspapp … «Terrible. C’est vrai que cette grève des techniciens de Bell Canada est sevîre et déchiquetante, on le voit sur la photo. Nous, poètes, sommes à juste titre fascinés par les mots et leurs croisements, leurs enjambements sonores et sémantiques inattendus d’une langue à l’autre, cette sorte de french-canadian-english semantic kiss … »

Émile Newspapp souffla un bon coup par la bouche. Ahh! Il était ému.

Et se sentait étourdi.

Et grandi.

Et fut soudain transporté devant une foule impressionnante à laquelle il avait déjà commencé à parler à son insu, ah!, une foule déjà conquise, acquise, et qui l’écoûtait avec une ferveur religieuse.

8

«…Il faudrait, en français», clamait Émile Newspapp, «inventer le verbe ‘sévérer’ pour désigner, dans certains cas, l’acte sévère de sévérer…» Tableau de Jean Restout, (1692-1768) ; Alexandre tranchant le noeud gordien. Source : cliquer sur l’illustration.

«…Il faudrait, en français», clamait Émile Newspapp, «inventer le verbe ‘sévérer’ pour désigner, dans certains cas, l’acte sévère de sévérer, de trancher dans le vif d’un sujet, que ce soit pensée, jambon, territoires ou boyaux de communications qui relient l’estomac au rectum, ou encore les veines, artères, veinules masse-médiatisantes qui relient à distance, comme de fins spaghettis amollis par l’amour et la chaleur des propos qui y circulent, et par la chaleur du soleil sur les fils, les moineaux, leurs crottes et les poteaux de Bell Canada, ces fins spaghettis cuits cuits hi! hi! dis-je, qui relient, dis-je encore, des millions d’oreilles humaines propres, ou sourdes, ou crasseuses, à des millions de bouches oralantes, puantes ou non – qu’importe! – et ce, à travers le monde, grâce aux milliards de filaments téléphoniques de Bell Canada. Ce dernier nom, d’ailleurs, ne serait-il pas celui de la femme géante du géant Beau Canada? Songez-y! Nous sommes au pays des géants, des géants aux pieds puants, parfois, bien sûr, mais parfois propres et savonnés, lisses et propres comme du plastique, savamment savonnés comme nos ballons crâniens dont nous prenons tant soin et que nous savons, aussi, si savamment shampouer …»

Ovation. Newspapp dut s’interrompre un moment.

Puis il reprit la parole.

« … Rien n’est plus sévérant», poursuivit-il, «qu’une tranchure dans le vif du sujet, chair, fil, lien, poisson; et le trancher, le sévérer des fils de Bell Canada nous rappellent la saine et terrifiante sévérité inhérente à la nature tranchurante des choses quotidiennes diurnes de tous les jours tout en constituant un crime de communication masse-médiatique fort cher contre la gigantesque masse-concubine masse-médiatisante …»

Émile Newspapp dut s’interrompre de nouveau.

L’acclamation de l’auditoire, tonnante, couvrait complètement sa voix. La foule, debout, hurlait vers lui en brandissant furieusement de longues lamelles de pages de journaux en criant: «La gloire! la girl! la galère! la galouère! la gale! la gaga! la galoche de Charlot! haa! haaa! Beau Canada!»

Émile Newspapp remua lentement la tête, étourdi.

Il avait été absent. Un moment.

Une fugitive et pétillante saveur ensalivée de nausée coulait à la racine de ses mâchoires.

Il faisait chaud.

Newspapp s’appuya un moment contre une tablette. Ses journaux étaient tombés par terre.

Il se pencha lentement. Les rapailla. Les ramassa. Se releva en les tenant sous son bras.

Émile regarda à gauche. À droite.

Voici une autre des réflexions d’Émile Newspapp qu’on a retrouvées sur lui. Je pense que ce sera la dernière présentée ici, j’avoue que … En tout cas. Vous pouvez sauter cette note, etc., etc. quoique, etc., etc.) :

«Que conclure face au mystère de la réanimation quotidienne du corps total de la pas-vraiment-concubine-de-moi-seul-encore, de la masse-médiatisante affamée-affamante, cette bienheureuse ogresse informante, protectrice, enfirouâpante, partout présente, lointaine et proche, et qui me tient en m’échappant? Ô mystère de la géante épouse future annoncée qui nous attendrit en nous pressant dans ses plis! Ô encre noire des connaissances proutantes jaillissant de la compression des presses battant à grands cris comme des mains rondes ou maigres, brunies d’encre et de couleurs, claquant les unes contre les autres avec entrain et où tout maringouin, inopinément capté, s’enjouit inexprimablement en son dernier plotch de vie, ô vie fraîche de cette boulette sanglante en manchette, ô saveur, ô suave et subtil moisi des fibres d’arbres démembrés, ô fibres savamment et passionnellement effilochées aux acides, roulées, imprimées, ô romantisme caféiné tremblant des chairs de doigts humectantes sur les pages entextées! ô ces matins de la masse-concubine informante et massante, toute en gigantesques rondeurs d’ondes et d’images, toute tachetée de milliards d’enculures mouchantes encrées! Je ne sais plus comment te dire! je ne sais plus! j’en conque d’embourdements bourbants! je conclus! je conclus! à bout d’souffle! entends mon couac final, ô mon ogresse! entends ce dernier mot que je vais dire et entraîne-le sans pitié dans l’immense mare amniotique de tes tsunamis gravants: Oh la la!» — Émile Newspapp. [Note de Newspapp inscrite en marge : «Prophétique! Surtout cet incroyable “Oh la la!” J’en tremble il me semble.»]

9

Newspapp aperçut le Journal de Montréal.

$0.35.

Soit $1.70 en tout s’il l’achetait aussi.

L’addition s’était mécaniquement faite dans son esprit et, à la racine des mécanismes de cette addition, les fils subtils qui reliaient Newspapp à ses habitudes les plus chères savaient et dictaient qu’il allait acheter aussi le Journal de Montréal, même si, tous les soirs, il contemplait, avec une culpabilité torturante, la masse d’information imprimée et non-lue qu’il ramenait tous les matins chez lui et qu’il épluchait pourtant scrupuleusement, bonyenne de marde! mais sans jamais parvenir à les épuiser, jusqu’aux nouvelles télévisées de vingt-deux heures aux réseaux francos ou anglos, en alternance – donc il lui en manquait toujours des bouts des deux côtés là aussi! douleur! «Mon oeuvre», pensait-il, «mon oeuvre en souffre; mais comment passer à côté de cette richesse de commentaires et d’informations cordées qui fondent toute oeuvre poétique classico-punkante post-moderne? Surtout quand on est un poète issu de la classe moyenne, correctement éduqué dans une famille à cravate, et tombé flatte sur le bs, un jour de gloire et de bataille, comme un marteau de Thor sur une corde à piano qu’un traître avait tordue? Comment? Le journal et la télé nous sauvent! Entendez-vous? Nous sauvent, ô mes dindins, mes dindons, mes dindes; on a osé dire que les médias étaient pleins de mensonges, mais même si la chose est vraie, mes dindins, qu’importe, ils nous nourrissent: voulez-vous mourir de faim? Que faites-vous de la passion!? Dans “sensuel”, il y a “sangsue”, c’est à prendre ou à laisser, n’hésitez pas! Voilà! Comment ne pas chérir, du plus profond de nos tripes, la chose omniprésente qui nous nourrit en nous goûtant, nous chausse solidement l’esprit en en protégeant les chevilles contre toute entorse, comment ne pas chérir la chose omniprésente qui s’enfile dans tous les chas synaptiques en une sorte de tsiguidou violonnant qui descend nous engonfler la bourrure et la tripe, comment ne pas chérir cette vaste et persistante Nounou qui nous berce, nous perce, nous secoue, nous gave, nous siphonne et, la nuit venue, nous endort pour nous éveiller le matin en clamant ses choses, infatigable et inspirante?! Je vous dis…»

Émile Newspapp dut s’interrompre.

L’ovation. Encore. Monstre.

Il attendit un moment, magnanime.

Puis il calma la foule, augustement et gentiment, d’un mouvement délicat de sa main mollie pendante – il l’avait déjà vu faire quelque part – un mouvement à peine esquissé de la main qu’il ponctua soudain d’un délicat clic! en pressant et en glissant l’un contre l’autre, d’un coup, le pouce et le majeur.

Le silence tomba immédiatement sur la foule.

10

La foule s’étendait à perte de vue.

Émile Newspapp reprit lentement, avec une véhémence toute contenue – des larmes embuaient ses yeux : «Mieux vaut n’écrire que quelques maigres versets chaque jour, et par ailleurs se remplir, tout en se sacrifiant l’oeuvre, de toute la vaste connaissance que les journaux fabriquent avec labeur, nous offrent en nous en enveloppant par débordements d’ondes, par surcoulées de textes entartants, mieux vaut ça que de se perdre dans des travaux d’écritures qui, somme toute, ne déclencheront pas les prochaines élections et ne méritent pas, comme on peut le voir, la manchette des quotidiens! … »

Newspapp fut encore interrompu par une ovation assourdissante. Les bouches silaient, bruyaient, criaient, hurlaient. Newspapp distinguait les incisives et les canines qui scintillaient et brillaient à des lieues à la ronde, milliards de minuscules spots ivoires; on aurait dit, parfois, des mouches à feu voletant en clignotant comme des loupiotes partout, à perte de vue, comme dans une immense salle de cinéma sans toit, sans parois, sans fin. «Ô bouches de mes masses, serties de mouches et de gloire! Ô bouches de mes masses, hurlant de mouches à pleines faces! …»

Newspapp souleva de nouveau le bras, fit encore cliquer nonchalamment son majeur et son pouce tachés au bout de sa main mollie qui cassait aristocratiquement vers le bas : le silence s’écrasa encore, d’un coup, sur la foule.

Émile Newspapp reprit encore, la gorge nouée par l’émotion: «Ce seul fait, je ne sais plus lequel mais qu’importe, quin toé! puisqu’il est dit, le fait – ce seul fait, mes dindins! mes dindons! ce seul fait, dis-je, cet afait, en fait, ce fait non-étant, ou ce faux fait dont je ne sais plus quossé, mais cependant dit et c’est tout ce qui importe puisqu’il démontre ainsi justement combien ce que contiennent les journaux transcende, et de loin, tout fait, tout sens, toute grémille de n’importe quoi, toute chose, donc transcende aussi ces versets pourtant essentiels qui encatacombrisent ma table de cuisine de couleur mate en métal crissant que je torche parfois de toutes ces coulissures de café instant, de miettes de pain tôsté et de pepsi noir qui encollent les dessous de mes cahiers noircis! Je vis un drame! Un drame de l’essence poétique jadis née nue, maintenant chiquement vêtue et nourrie par la grosse belle grande nouvelle all-dressed de la Nounou qui gère toute la coruscante bulle nourricière informante et mangeuse. Oh! Qu’ai-je dit? …»

Petite ovation.

«Je …»

Petite ovation rapetissante.

Newspapp attendit un moment, le regard dur.

Silence.

«… Mes dindins, mes dindons …», reprit soudain Newspapp, «je vis une scission, une contradiction des puissances contractées de mon être, et c’est un perpétuel tangage entre, par exemple, poux-pourrir en riant comme un con – ou pourrir poussif dans un champ moche qu’on tond, ou entre mourir mou riche sans faire dur et sans faire chiche – et vivre à la dure pauvre sans faire la moue, même si sans miche ni niche – et la liste pourrait s’allonger, ahhhhh! Mais d’instinct, mes dindins, je dois me tenir, me tenir, me tenir informé – qu’importe les poques assénées en retour! Comment risquer la damnation lacérante d’être laissé pour compte par l’époque que la Nounou gère en nous léchant les nerfs, la méninge, la pupille, la pie-mère, elle qui ingère et qui dégère, nous gave puis nous digère pour, ainsi, chaque jour, nous chier tout savant dans ses cieux déferlants, plastifiés, lisses, purs, candides, meublés, glissants, parlants, modernes, elle qui nous entexte en profondeur de tous ses codebarres chatouillants, indélébiles, suaves, elle qui nous inonde généreusement de par ses myriades de seins pointus comme des longs bics encrés qu’ornent ces lourdes et riches gouttes noires délicatement beurrantes qui pendent, elle qui s’étale si généreusement, sans compter, jusque dans les frémissants et reconnaissants hot-dogs écartillés de nos coeurs!? Oui: comment risquer la damnation lacérante d’être laissé pour compte par l’époque en s’éloignant de la Nounou géante masse-médiatisante?! Jamais je ferai ça! Jamais! Je m’y engage! C’est sans retour! Je dois lire les journaux et zapper courageusement le soir pour tout capter d’elle, fidèlement, ardemment, de canal en canal, de pixel en pixel!»

De nouveau, l’ovation. Monstre. Une ovation stridente, effrayante, scandante: «On comprends rien! On comprends rien! On comprend rien! On comprend rien! … »

Émile Newspapp avala une grosse gorgée de salive, souleva lentement le bras, balaya encore la foule de sa main molle pendante, prépara son célèbre clic du majeur et du pouce, en dressant d’abord son majeur, très haut, très droit, vers les étoiles, mais cette fois en négligeant nonchalamment, longuement, de joindre le pouce au majeur, et la foule, stupéfiée par cet immense obélisque digital immobile, isolé, silencieusement dressé dans la nuit comme un gigantesque et sinistre doigt de père-fouettard sans prépuce et privé de pouce, devint rouge de colère, cria trahison! puis disparut d’un coup en fuyant comme une eau d’orage dans les abîmes ensablant du Sahara.

Émile tangua un moment. Une sorte d’étourdissement. Il avait eu un moment d’absence. Il regarda à gauche. À droite. «Quossé … ? »

11

Les clients de La Maison de la Presse Internationale regardaient Newspapp et se le montraient du doigt en pouffant de rire.

Émile détourna la tête. Il était habitué à ce genre de bizarreries qu’il ne parvenait jamais à s’expliquer. Il haussa les épaules. «Ces gens devraient consulter», se dit Newspapp, «les gens sont bizarres, vraiment bizarres».

Il s’absorba dans la contemplation de la photo du Journal de Montréal. On distinguait beaucoup mieux les tripes, sur cette photo du Journal de Montréal, que sur la photo de The Gazette. La chair, les tripes de Bell… Les masses des minces fils de Bell Canada ressemblaient beaucoup plus, dans le Journal de Montréal, à de la viande de boeuf sortant en torsades d’un gros moulin à viande. Plus que sur les autres photos des autres journaux, en tout cas. C’était irrésistible. Le Journal de Montréal titrait:

«515e sabotage»

$1.70.

Émile Newspapp avala une autre grosse gorgée de salive. Sa gorge se nouait. Les prix. C’était exorbitant. Comme d’habitude. D’une journée à l’autre ils ne baissaient pas. Parfois même ils augmentaient. Incroyable!

Plus $0.50.

Plus $0.50, parce qu’il pouvait se trouver, dans le Montreal Daily News – que Newspapp reluquait maintenant avec une sorte de malaise, d’angoisse diffuse – des faits, des commentaires, des photos même, comme celle du ventre étripé de Bell, encore, mais pris sous des angles inédits et qui manqueraient aux autres journaux – et sans oublier tout le reste, tout l’inconnu, tout le non-lu qui l’attendait dans les replis du quotidien.

Total: $2.20.

Le Montreal Daily News titrait, en inversé:

«They’re 99% Sure It’s Rhea»

–  Rhéa… !?!

Le même sentiment amoureux qu’auparavant envahit Newspapp, mais cette fois massivement, son coeur bondit: «Rhéa …»

– Les tripes de Rhéa?! Mais qui est sûr de, de ça à 99%? … Ah, c’est les policiers qui sont sûrs de ça …

Sous la manchette en inversé, le sous-titre en noir disait:

«Rape-Spree Suspect Leads Cops to Body»

«Quelle horrible nouvelle et quel stacatto rythmique!», pensa Émile en relisant le sous-titre.

Il traduisit mécaniquement:

«Le suspect des viols conduit les policiers au corps»

«Rape-spree», pensa Émile. «Spree.» Aussitôt il pensa à «spruce». Puis à Spruce Pringsteel. Et que la rivière Spree traversait Berlin… Adolf… «Serait-ce codé? … »

Son esprit disparut d’un coup. Comme s’il avait implosé. Il n’y avait plus rien.

12

Émile secoua la tête. Il avait été absent. Un moment.

Autour de lui, on pouffait de rire. Ça n’arrêtait pas. Toujours les mêmes bizarreries.

– Toutes ces connotations sont printanières, dit Émile en tournant un visage méplati, les yeux tout grand, bouche entrouverte, vers le commis au comptoir qui se trouvait à quelques pas.
– Étonnant, n’est-ce pas, Charlot, en plein mois de septembre?, répondit le commis.
– Ça sent la galouère, dit Newspapp.

Le commis se fendit d’un sourire, un mélange de sourire forcé et compassé, et détourna la tête pour rendre la monnaie à un client.

Newspapp regarda le commis avec un regard blessé. Intrigué. Le commis lui avait-il fait la grimace en s’adressant à lui? Méprisait-il ou mécomprenait-il la portée de sa remarque? Considérait-il que de rendre la monnaie à un client était plus important que de prendre le temps de bien absorber et de bien approfondir sa remarque à lui, Newspapp, poète, et d’en souligner la pertinence? «Je soulève les foules, moi, monsieur», pensa Newspapp. «La galouère: ne comprenez-vous donc pas les profondeurs de ces paroles de moi?»

Newspapp était extrêmement sensible à ces contacts ratés, à ces mépris sourds, à ces attitudes bassement lestées de quotidien et de banalité, cette bassesse des gens, cette dégoûtante bassesse. Une sourde colère roulait en Newspapp. Bassesse! «Ah, ce mot, ce mot, quelle force on y sent dans l’accroupissement appréhendé qu’on y hume! Surtout quand ça vient d’un émigré!», pensa Newspapp en voyant soudain cette dernière phrase en manchette dans sa tête et en se détournant du commis pour mieux la contempler dans l’azur blanc du plafond.

La colère lui tortura les traits un moment, lui tortillonna les lèvres.

«Une superbe manchette scandaleuse», pensa Newspapp, le cou tordu, la face tournée vers le plafond, «susceptible de déclencher un grand débat de société radio-canadien prolongé et massivement imprimé! Ô mon ogresse masse-médiatisante: je te l’offre!»

La présence de Rhéa l’envahit de nouveau.

Newspapp regarda autour de lui.

Rhéa.

Rhéa envahissait tout l’être d’Émile.

Rhéa était partout. Riait. Énorme.

Il n’y avait que Rhéa.

La Rhéa du Montreal Daily News, une gigantesque Rhéa apparemment invisible aux autres, s’appropriait le poète. Ou le poète s’y appropriait, s’y fondait. Vraisemblablement les deux.

Comment expliquer la sorte de saut, ou de surgissement psychique ou mental qui se produisaient en Newspapp, comme par ressacs et assauts de marée montante? C’était tectonique. Sourdement ou pas. Qui saurait dire? Disons que c’était sa destinée. Disons. Il y a des choses qui se produisent comme ça, béding. Souvent par bédings successifs. Des choses énormes! Des tournants radicaux. Les premiers signes sont des petits bédings, auxquels de moyens bédings succèdent, souvent de proche en proche, comme ici, pour éventuellement déboucher sur un énorme béding, l’accomplissement du drive secret des bédings précédents. Admettons que ça bédignait déjà pas mal en Newspapp avant qu’il n’entre, ce jour-là, à La Maison de la Presse Internationale. En fait, le bédignage, ça peut se communiquer; par exemple, j’ai failli écrire «La Maison de la Presse Histrionale»! Vous vous rendez compte?! Invoyable! Je veux dire, «incroyable»! Chose certaine, le destin d’Émile Newspapp, ce jour-là, tourna définitivement, comme on peut déjà le pressentir et comme le reste de l’histoire le démontre.

Newspapp tenait toujours, serré, son précieux rondin de journaux sous le bras.

Émile relut le titre du Montreal Daily News: «Rape-Spree Suspect Leads Cops to Body…»

Il lorgna un moment du côté du Globe and Mail, cette respectable et confortable galette grisâtre, anesthésiante et calmante, abondamment fourrée d’encre, de nouvelles d’affaires et de money, un ennui noir et blanc d’une retenue raisonnablement constipante,  savamment pondérée, d’une analité lisse, propre, bancaire, une sorte de prestigieuse et ronronnante auto-punition vertueuse, puritaine, quotidienne.

Un autre monde.

Émile Newspapp détourna les yeux, revint au Montreal Daily News.

L’ouvrit.

13

Cette histoire de corps, dont les policiers disaient que c’était le corps d’une femme à laquelle ils donnaient le nom de «Rhéa», c’était l’aboutissement d’une enquête sur un couple qui enlevait des femmes dans les centres d’achats, les violait, les volait, et les ramenait au centre d’achats. Une sorte de randonnée aller-retour gluamment arnaquante, prédatrice, sexuelle, un autre burinage de traumas dans la chair et la psyché humaines comme il s’en produisait par milliers sur la planète, tout le temps.

Cependant, l’une des victimes n’avait pas été ramenée au centre d’achats après coup: elle avait été enlevée, violée, volée – et puis tuée, «une variante cruelle» pensa Newspapp dans un court moment d’émotion humaine normale. Cette femme assassinée, on l’appelait «Rhéa». Newspapp était-il vraiment ému? Chose certaine, il était en transe. «Rhéa, Bell Rhéa, Bell Canada …» La police avait pincé le couple criminel, et le type du couple criminel («Beau Canada …», pensait Newspapp) avait conduit les policiers enquêteurs à l’emplacement où, non pas «Rhéa» tout-court, pensait Émile, mais «Bell Canada» qui, pour Émile, se confondait avec «Bell Rhéa», avait été abandonnée, morte, par le criminel qui ne pouvait qu’être un type nommé «Beau Canada», évidemment, par la force des choses, on l’a vu.

– Beau Cave! hurla Émile.

Ça pouffait autour de lui.

– Les journaux sont codés, lança Émile.

Les journaux étaient codés. Encodés par l’ogresse masse-médiatisante elle-même dont Bell Rhéa, ou Bell Canada, la femme de Beau Canada, était une incarnation magiquement masse-médiatisée et massediffusée par meurtre rituel.

La masse-médiatisante soudain masse-médiatisée.

Pour Newspapp, Bell Rhéa était la masse-concubine géante de son poème du matin, celle de ses réflexions philosophiques et de ses discours-fleuves. La mission du poète Émile Newspapp, Newspapp le savait en cet instant avec certitude, était de réanimer Bell Rhéa, la gigantesque masse-concubine quoique pas-vraiment-concubine -encore, la gigantesque Nounou masse-médiatisante, de la réanimer et de s’y unir pour l’accomplissement d’un destin inopinément interrompu, pour le salut des dindins, des dindons, des dindes qui, déjà, durant les minutes qui avaient tout juste précédé, en avaient acclamé plusieurs fois le prophète: lui. Bell Rhéa était la masse-concubine annoncée pas-vraiment-concubine -à-lui-seul-encore dont Newspapp allait faire sa concubine accomplie. Ce qui entraînait qu’il allait devenir, lui aussi, géant. Géant par fusion prophétique avec la géante.

Les journaux étaient codés!

Et lui, Newspapp, maintenant, les décodait.

Les tripes étaient les Bell tripes de Bell Rhéa. Charcutées par les grévistes qui s’étaient transformés en ennemis des communications (d’où leur grève), en ennemis de la géante masse-concubine masse-médiatisante qui voulait s’incarner. Elle avait été interceptée, et la géante avait été passée au moulin à viande sans qu’elle puisse après coup se nimer elle-même, se renipper le corps, ou se Rhéa-Nimer, sans qu’elle puisse vaincre les grévistes liliputiens qui l’avaient attachée avec les cruels effilochements de ses chairs mêmes et l’avaient suspendue ainsi à des crochets au-dessus du cadre supérieur de la photo dont Newspapp devinait la présence. Swift. Ça s’était fait swift. Vite. Gulliver. C’était full morue, full codé. Bell Rhéa avait de la gueule, c’était clair, et on avait effiloché son gigantesque liver, son foie, pour le manger, c’était clair, toute la photo en luisait. Bell Rhéa était une incarnation charcutée de Belle Gueule-Liver. Étripée. On avait pas eu le temps de manger le foie, bon, ça arrive. Et c’était, en partie, ce gigantesque liver, ce foie de Bell Rhéa, qu’on voyait effiloché, par dépit, sur la photo, avec ses tripes. Bell Rhéa avait beaucoup de noms, forcément, elle était l’incarnation d’un tsunami quotidien de mots. C’était simple. C’était clair. C’était codé. Codé de multiples façons.

Le coeur de Newspapp battait à tout rompre. Le béding était total. Ou presque.

14

Sa quête, sa passion des journaux, prenaient tout leur sens. Enfirouâpé comme la baleine avait enfirouâpé Noé, Émile Newspapp était le sauveur et le prophète de Bell Rhéa. L’esprit d’Émile implosa.

Un moment passa.

Émile secoua la tête.

Il avait été absent.

$0.50.

$0.50 de plus avec le Globe and Mail.

Émile Newspapp se refusait à admettre qu’il l’achèterait aussi, le Globe and Mail plate et bancaire, mais il fallait bien aussi l’apprécier en tant que Newspapp était aussi un intellectuel from coast to coast to coast. Déjà le calcul était fait dans les profondeurs de ses circuits et popait dans son crâne: le coût total atteignait maintenant $2.70!

Invraisemblable!

Il avança la main vers le Globe and Mail.

Mais juste avant de s’en saisir, il se tourna vers le commis.

– Le Wall Street Journal arrive à midi, n’est-ce pas?, demanda Émile.

Le commis baissa la tête sans répondre.

Le comportement du commis lui mit les tripes à l’envers. «Que quoi! Ce commis veut pas me parler? Ce commis veut pas me vendre? Si c’est ça, j’ai bien envie de pas le lui acheter, son maudit Wall Street! Faut pas prendre les clients pour acquis!»

– Vous en avez échappé un, fit le commis en pointant son doigt vers le sol derrière Émile.

Émile se tourna et vit The Gazette écartelée, répandue par terre.

Il se pencha en serrant son rondin de journaux sous son bras.

À la page ouverte du quotidien écartillé par terre, on pouvait lire, en haut, «Editorials», et un peu plus bas «Letters».

Émile Newspapp se pencha plus encore vers le plancher, s’agenouilla, approcha son nez de l’un des titres qu’il avait aperçus sous la rubrique «Letters». «Les lettres des lecteurs sont parfois intéressantes un peu du point de vue de l’étude de l’homme un peu ordinaire de tous les jours dans son quotidien un peu répétitif, diurne, nocturne et global, et dans son vécu d’être un peu régional, urbain ou un peu surbubain, ce dont de récentes études témoignent un peu éloquemment», pensa Émile en reproduisant, à son corps défendant, les tics, et la langue peuïste, glabre et ligneuse d’un animateur de Radio-Canada qu’il entendait tous les jours.

Newspapp, toujours à genoux, lisait et relisait le titre qui venait d’attirer son attention :

«French, English, Breathe Same Air»

«Quel titre étrange», murmura Émile.

Il se traduisit machinalement le titre en français:

«L’anglais, le français, respirent le même air»

– Est-ce possible?

Il réfléchit un instant.

Puis se mit à rire d’un bon rire bonhomme, touché par la candeur, la naïveté toute populaire de ce titre de lettre qui attribuait à deux langues la capacité d’un nez: «Ces gens un peu ordinaires et d’un vécu quotidien un peu caractéristique de chaque journée sont parfois un peu étonnants d’instinct métaphorico-sémantique un peu sauvage et un peu inné», se dit Émile en se parlant encore comme cet animateur-radio déjà mentionné, et en savourant savamment chacun de ses “un peu”: ces derniers avaient de réelles vertus confortantes. Il leva soudain la tête vers le plafond. Dans l’angle du mur et du plafond, un écran-télé diffusait les nouvelles. À Radio-Canada. Le lecteur des bulletins avait la même voix que l’animateur radio qu’il entendait souvent. Ils avaient d’ailleurs presque tous des voix semblables, confondables. Newspapp regardait. Écoutait. Il n’entendait que les “un peu”, “un peu”, “un peu” qui ponctuaient constamment le texte des bulletins. Ces répétitions de “un peu” avaient un effet hypnotique. Puis tout à coup l’image télé muta. Un ogre. Newspapp vit un ogre. Énorme, poilu, des dents énormes, un sourire bavant, mangeant, mangeant, un ogre gigantesque mangeant, tout en masturbant délicatement son cure-dent. “Un peu”, bla bla, “un peu”, bla bla bla, “un peu” …

Newspapp secoua, baissa la tête, ferma les yeux, se retrouva un moment dans un espace immense à l’intérieur de lui, silencieux. Quelque chose lui disait de rester tranquille, de se calmer, de demeurer dans cet espace, un long moment. C’était un murmure, doux, très doux, une voix qu’il avait jamais entendue, discrète, totalement permissive et bienveillante, tranquille, tranquille, quelquechose qu’il n’avait jamais éprouvé avant. Newspapp s’y sentait bien comme jamais il ne s’était senti bien. C’était calme, doux, d’un confort indicible: «Reste tranquille, tranquille…»

Newspapp rompit le charme et revint comme s’il sortait d’un paradis de quelques secondes, comme s’il s’en chassait par attrait irrésistible pour le bruit, les niouzes, les journaux, et il se mit à lire la lettre, qu’il avait aperçue dans The Gazette, avec appétence et une condescendance attendrie.

Il aurait dû y penser! C’était à propos de cet incendie de bpc à Saint-Basile, en banlieue de Montréal, un incendie dont on craignait les retombées intoxicantes. L’incendie avait entraîné l’évacuation d’urgence de plusieurs milliers de personnes qui s’étaient retrouvées entassées dans une école pendant près de trois semaines; à la fin des trois semaines, les sinistrés avaient finalement pu rentrer chez eux.

La lettre qu’Émile lisait, c’était celle d’un anglophone, «encore un de ces anglophones qui écrit pour se plaindre!». Émile hurla intérieurement: «Ces anglophones constituent la minorité la mieux traitée au monde, de quoi se plaignent-ils!?»

L’auteur de la lettre racontait que le maire de la place et le ministre de l’Environnement, après les avoir rassemblés, s’étaient adressés aux habitants de Saint-Basile en français puis en anglais pour leur faire part des directives d’urgence et des précautions vitales à prendre, mais que l’anglais avait été tellement hué par les francophones que les anglophones avaient eu tout le mal du monde à saisir la teneur de ces directives et de ces précautions. Ça pouvait être faux, exagéré, vrai, mais quoi qu’il en fut, Émile mordit à l’hameçon et éclata en un tonitruant débat de société solitaire: «Hué, hué…  Mais de quoi se plaignait-il ce type?! La minorité la mieux traitée au monde, et il se plaignait!? On a bien appris l’anglais, qu’est-ce qu’ils attendent pour apprendre le français?!? Il les a eus, ses renseignements, non? Sinon y s’rait pas là pour en parler! On les respecte et tout ce qu’ils trouvent à faire c’est d’écrire des lettres en anglais à The Gazette pour se plaindre d’avoir été hués! On va se priver! Et la liberté d’expression?! La Charte?! On hue bien les Bruins de Boston! S’ils s’imaginent que les francophones ne les liront pas, ils se trompent! On a pas l’intention de se laisser disparaître par une langue! Ils ont leurs universités! Ils ont leurs journaux! Ils ont même des maisons à Saint-Basile où on les laisse s’arroger le droit de respirer le même air que les francophones d’la place! Depuis l’temps qu’ils se mouchent en cachette dans nos cheveux, on peut bien les huer publiquement un peu, non!? Bon! On hue, quoi, c’est tout! C’est d’santé! Puis on s’excuse, c’est tout. On hue, on s’excuse, et on remet ça, on hue encore, et on s’bidonne, bien l’droit! Gagne de party poopers, vous riez jamais?! On a toffé en français jusqu’à maintenant sous vot’ nez, vous pouvez bien toffer en anglais pour l’éternité si ça vous chante, who fuckin’ cares!? V’nez pas nous culpabiliser chez nous quand on a du fun! c’est toute! Compliqué, c’monde-là!»

Émile Newspapp se releva lentement, le visage rouge, replia The Gazette sous son bras avec les autres journaux, avança brusquement la main, celle qu’il avait libre, vers le Globe and Mail dont il s’empara brutalement.

– $2.70!  fit une voix derrière lui.

Il se tourna.

Le commis le regardait avec ses petits yeux plissés derrière ses lunettes à monture d’acier, la main gauche ouverte et tendue vers lui.

– Total, $2.70, dit le commis.
– Non!, fit Newspapp.
– Montre ton argent, fit le commis en tendant toujours la main gauche.
– Non! fit Newspapp.
– Ah!, fit le commis.
– Avec le Wall Street, ça fait combien? demanda Newspapp.
– Il est pas arrivé!, lança le commis la main gauche tendue vers Newspapp.
– J’peux pas payer pour un journal que j’ai pas, rétorqua Émile. Et j’aime pas les mains gauches.

Le commis attendait toujours, la main gauche tendue. Émile Newspapp hésita un instant. Fixant la main. Pensa un instant à cracher dedans, hi! hi!, mais la noblesse de son être l’en dissuada. Ou autre chose. Il lui fallait le Wall Street, il le lui fallait absolument. Et France Soir. Et Le Monde. Puis le New York Times, le Herald Tribune, toute la géante masse-concubine médiatisante, toute, toute, toute…

France Soir? Le Monde…?
– Ce soir ou demain, rétorqua laconiquement le commis.
– Je sais.
– Je sais que tu sais, fit le commis. $2.70! T’as d’l’argent aujourd’hui?
– Je vais voir si je pourrais pas trouver autre chose du côté des magazines, répondit Émile. Et changez de main, ajouta-t-il.
– Tu m’as déjà dit la même chose hier pour la main droite!, lui lança le commis.
– Phoque!, lança Newspapp à tue-tête, tendez aut’ chose!

15

Le commis se détourna de Newspapp en esquissant un sourire en coin, un étrange mélange de familiarité ironique et d’agacement, pour se tourner vers un client qui venait d’entrer.

Newspapp, lui, parvint au fond de la boutique.

C’était plein de revues sur les étagères.

Les revues coûtaient cher.

Émile reprit dans ses mains les journaux qu’il avait rassemblés et contempla la pile un instant, toujours aussi fasciné par la photo des tripes de Bell Rhéa. Elle trônait toujours là, fascinante, absorbante, tellement absorbante, sur le dessus, sous la forme de son gigantesque corps effiloché.

$2.70: additionné chaque jour pendant trente jours, ça représentait vite beaucoup d’argent sur son chèque de bs: $80.00  –  ce qu’ignorait toujours son tempérament de classe moyenne.

Émile Newspapp commençait à avoir faim.

La pensée le traversa encore que les nouvelles avaient vraiment des connotations printanières. Il sentait Rhéa partout, et en même temps elle lui manquait comme une faim tenaillante, il voulait être proche, très proche, de plus en plus proche d’elle.

Il voulait être elle.

Et manger!

«La pourriture, la mort, les tripes de toi, ô Bell Rhéa, mon omniprésente géante aimée. Quelles images exaltantes, quel destin pour un poète des journaux.»

Il s’arrêta à cette pensée.

Jamais il ne s’était lui-même intitulé «le poète des journaux». «Encore faudrait-il que je publie des poèmes dans les journaux pour en être vraiment le poète… » Bof, à la rigueur, à défaut de s’appeler le «poète des journaux», il pourrait toujours se considérer comme le «poète aux journaux», ce qui avait un côté pop et misérabiliste qui l’aiderait peut-être à passer à l’Histoire. «Ça se glisse bien dans une biographie: Le poète Émile Newspapp, le célèbre “poète aux journaux”, naquit…  Puis il mourut…»

Émile chassa la pensée.

Comme le poème qu’il avait écrit le matin, cette pensée le déprimait et il se sentait soudain vide comme une galoche abandonnée. Un moment, c’était comme si Bell Rhéa avait disparu de lui pour toujours. Baloune totalement aplatie.

Il extirpa Le Devoir de sa pile et lut la manchette, les commissures pointant bas:

«Hitler se donne un gouvernement civil»

– Hein?

Il relut.

«Jéhovah se donne un gouvernement civil»

– Ah …

Il relut.

«Le Canada se donne une chambre des tortures civile»

– Tiens …

Newspapp secoua la tête.

Il relut encore la même manchette.

«Haïti se donne un gouvernement civil»

Il relut.

«Haïti se donne un gouvernement voudou»

Les lapsus de lecture s’accumulaient.

Newspapp lut plus bas.

«Sabotage majeur chez Bell»

Pas de photo.

– Qu’as-tu fait du corps, des tripes et du foie encodés de Bell Rhéa, ô Devoir!?

Dépité, il ré-enfourna Le Devoir au milieu de sa pile.

Ce qu’il avait pensé, juste avant, lui revint à l’esprit: «Encore faudrait-il que je publie des poèmes dans les journaux pour en être vraiment le poète…» Cette pensée fut aussitôt suivie de la suivante: «Ou alors, je me publie totalement dans la masse-concubine ogresse masse-médiatisante en l’épousant totalement!… Ahhh!»

Bell Rhéa! De nouveau!

Il la sentait partout.

Bell Rhéa était revenue!

C’était gigantesque.

Elle!

Partout!

Émile Newspapp commençait à avoir vraiment faim.

Il pensa encore à la biographie d’Hitler de John Toland, à l’histoire du Troisième Reich de Shirer. Il se rappela certains récits des années du futur Führer à Vienne, un récit qu’il avait lu dans un de ses livres. «Il crevait de faim et comptait ses sous quand il en avait», se rappela Newspapp, «c’était un peintre-architecte ignoré, il lisait tout ce qui lui tombait sous la main, il devait se réfugier dans des institutions pour les pauvres…» Comme lui qui était sur le bs. Comme lui qui avait faim. Comme lui qui était assoiffé de connaissances et de fascicules à nouvelles. Comme lui qui était déclassé. Comme lui qui était poète non-publié, non-reconnu …

Bell Rhéa!

Bell Rhéa changeait tout!

16

Newspapp se pencha, déposa par terre tous les journaux accumulés, les abandonna sur le plancher.

«Bell Rhéa …»

Bell Rhéa partout. Bell Rhéa le réanimait.

Newspapp se tourna vers la sortie, enjamba la pile de journaux qu’il avait abandonnée sur le plancher, marcha, les mains vides, en direction de la grande porte vitrée pleine de lumière qui donnait sur la rue.

Newspapp passa devant le commis qui leva le bras en claquant les talons, en tenant d’une main un bout de peigne noir sous son nez, et en lançant: «Ayoye! Charlot!»

Émile Newspapp fit de même avec une solennité décontractée et sortit sur le trottoir où la longue Mercedes noire blindée, mais décapotée pour la circonstance, l’attendait, et pour Newspapp, c’était comme si le commis de La Maison de la Presse avait tout préparé. La foule à l’extérieur et à la porte de La Maison de la Presse acclamait Newspapp. Erik Kempka, son chauffeur privé, venait d’ouvrir respectueusement la portière arrière de la limousine noire et l’attendait, impeccable dans sa livrée noire d’adjudant.

Le destin se déployait.

Dans l’auto, un gros type, vêtu d’un uniforme militaire d’un blanc pur, angélique, d’une propreté anale parfaitement torchée, lui faisait youhou avec sa grosse main gantée et l’attendait.

Newspapp le salua d’un bout de main mollie pendante en contemplant un instant la Mercedes décapotée dont les parois, les portières, les ailes luisaient au soleil comme autant de miroirs noirs.

Newspapp fit un signe du bout de la main à son chauffeur, qui tenait toujours la portière ouverte pour lui, et s’adressa à lui sur un ton calottin: «Laisse, Kempka. Je vais marcher seul parmi les miens et j’irai ensuite manger avec mon peuple dans un restaurant modeste. Veuillez aviser le Lieutenant-Gouverneur qu’il est convoqué pour instructions dans quelques heures. Dites-lui d’arborer son brassard de jeunesse, celui qu’il aimait tant porter à l’Université, ça lui va à ravir. Ah mon Jeannot, mon fidèle Jeannot mort, mon Beau Canada…»

Émile se mit à marcher.

17

Marcher, ça fait jaillir les idées, ça fait monter les bouillons, ça fait remonter les morceaux de viande endormis au fond de la marmite.

Émile pensa que les choses allaient très vite et qu’il ne lui manquait plus que des Roms, des Arabes, des Noirs, des tonnes de faux-Blancs, des communistes, des homos, des robineux, des sans-abri, des francophones déchus, des trucs, des infirmes, du tralala: «Au pacage! des clôtures!»

Il se rappela qu’il y avait ces types à bouclettes dans Outremont: on les haïssait déjà là-bas, et ils méprisaient abondamment à peu près tout le monde, ça fesserait fort de part et d’autre, c’était précuit, un gros débat de société en vue. Et les autres gens de la place avaient de l’argent: c’était drôlement bon, au début, pour le financement d’un parti. Il y avait les bs, ces parasites, ces êtres inutiles de basse classe. Mais pas assez de nobles. Le Lieutenant-Gouverneur? Tiens. Mais oui. Pourrait en tenir lieu. Pourquoi pas. Ça pourrait remplir un trou. Le pendre? Éventuellement. Il avait qu’à le livrer à ses ennemis, mais c’était bon d’avoir une sorte de roi sous ses ordres. On verrait. Newspapp l’avait d’ailleurs convoqué, il le verrait dans quelques heures, brassard au bras. Jean-Louis aimait les brassards ornés de petites croix croches.

Il y avait aussi cette minorité de fins-finauds qui ne lisaient jamais les journaux, ne regardaient jamais la télé, une bande d’ignorants qui se prenaient pour d’autres! Sales snobs! Au feu! Il y avait les anglophones de Saint-Basile: tiens, on pourrait leur graisser la patte et les transformer en collaborateurs anti-canadiens, une sorte de cinquième colonne indétectable et insoupçonnable. Osé. Audacieux. Marrant, bidonnant! Hi hi. Il y verrait.

En se donnant un peu de peine, continuait à penser Newspapp, on pourrait finir par pousser les francos de Saint-Basile, qui avaient hué l’anglais, à comprendre qu’il était beaucoup plus simple, quant à faire, de garder les anglos chez eux, en cas d’incendie massif de déchets toxiques à proximité, en leur faisant jouer du Frank Sinatra ou du God Save the Queen pour les occuper et les garder sous hypnose, et à la fin, du Félix Leclerc pour les mettre en crisse, puis on pourrait faire jouer le Requiem de Mozart en recueillant les victimes de crises cardiaques, d’angines, et autres encombrements collatéraux qui en résulteraient. Un bon débat de société. Un autre! Lancer les dés bas, hi! hi! Travailler la pâte. Vieux principe.

Après, on pourrait condamner les francos eux-mêmes pour crime de masse contre quelquechose, n’importe quoi, on pourrait trouver, crime contre l’humanité, crime contre la tolérance ou l’intolérance – ça devenait mêlant, et tant mieux! – crime contre la lâcheté ou contre l’audace, tiens! ou crime contre les oreilles pour avoir utilisé la musique à des fins subversives, oui! ou crime contre les Tas de Droits qui commencent à pourrir un peu partout, et se faire ensuite applaudir par les lecteurs de The Gazette et du Globe and Mail – facile, les anglos graissent toujours la patte aux anti-francos, bête de même – quitte à enfourner aussi les lecteurs du Globe et d’la Gazette, après coup, pour littérature haineuse, un truc du genre, on a des lois tout crotte qui peuvent servir à ça – ou à aut’ chose, lalala. Les journaux, la télé, la radio, pas de problèmes, c’était dans la poche, hi! hi! ça s’enfilait swell au bout d’la broche!

Newspapp pensa encore aux photos des tripes de Bell Rhéa à la une de The Gazette, du Journal de Montréal: fort de toutes ses lectures, Newspapp était convaincu que tous ces gens-là, dans les médias, consciemment ou pas, obéissaient, comme lui, à la gigantesque Nounou qui l’inspirait maintenant de manière privilégiée en récoltant, à la surface du prophète, tout ce qu’elle avait semé dans les profondeurs du poète, à son insu, depuis des décennies. Ces gens-là, dans les médias, obéissaient tous sans le savoir à la gigantesque Nounou qui gérait leurs neurones et leurs spasmes et Newspapp savait qu’ils étaient tombés, en ce jour-même, sans le savoir, sous la coupe absolue et définitive de la Nounou sanguinairement sacrifiée, démembrée, qui voulait s’incarner, qui avait subi un sale coup du sort mais qu’il allait réanimer, lui, comme elle l’avait réanimé, lui. Il allait accomplir la soi-concubination fusionnelle avec la masse-concubine masse-médiatisante annoncée. Aussi, il le savait, les agents médiatiques donneraient très cher pour une photo du corps d’Adolf, un gros motton d’argent d’poche, il allait les ébahir, ah ah. Newspapp en avait la certitude: s’il décidait, pour de bon – et c’était certainement aujourd’hui le grand jour du pour-de-bon – de lancer enfin son Parti, le Parti de Quelquechose, le Parti de N’Importe Quoi, le Grand Parti Bofiste, ou le Newspapp Party, ça pourrait voguer. Les complicités inconscientes et toutes molles que Newspapp avait déjà, dans la presse, et qu’il allait activer en fusion avec Bell Rhéa, allaient se manifester et suivre sans même s’en rendre compte.

Maître des galères. Il le sentait. Il le savait. Il allait se glisser dans les neurones de tout le monde, en fusion avec la Nounou géante, massivement, totalement, entièrement, définitivement! La glouère, la galouère, la galère, le sacrifice, l’holocauste du millénaire! ahhh! se fondre en Bell Rhéa, dans les belles tripes de Bell Rhéa, dans le beau foie gigantesquement textué et masse-médiatisant de Bell Rhéa réanimée par lui! Se glisser dans les neurones de tout le monde, d’un coup, un grand flosh mondialo-cosmique, avec Bell Rhéa, s’y confondre à jamais, un coup d’éclat, un coup d’omniprésence totale qui ferait de lui l’égal de Dieu, de Thée, de Zeus, d’Athée, ou de la Grande Masse-Médiatisante Mouche Thsée-Thsée!

On le disait plus haut: marcher, ça fait juter les idées, ça fait marmiter vers le haut les morceaux obscurs qui dorment au fond. Ce qui précède peut vous sembler délirant, mais s’il vous arrive jamais, un jour, de noter tout ce qui vous passe par la tête et les tripes quand vous marchez seul pendant près d’une heure à Montréal sous le soleil, sur le ciment et sur l’asphalte, après avoir bu du café, lu des journaux et absorbé de la télé, vous risquez fort de vous retrouver en présence d’un chaos loghorrique comparable, certainement tout aussi baroque, possiblement tout aussi invraisemblable, hilarant, dégoûtant ou inquiétant – ou, voire, en ses méandres délirants, peut-être tout aussi horriblement signifiant. Essayez. La méthode est simple. Ouvrez-le, vous allez voir : il y a des choses terribles dans le ventre de Dieu. De Thée. De Zeus. D’Athée.

Ou dans l’ombre universelle de la Mouche Thsée-Thsée.

18

Émile Newspapp poursuivit sa marche.

Il avait de plus en plus faim.

Il descendit à pieds la rue Saint-Denis jusqu’à la rue Sainte-Catherine.

De là, il se dirigea vers l’Ouest de la ville et marcha jusqu’au restaurant Basha, en face de la Place Montreal Trust.

Le restaurant était au troisième étage.

Pour $3.25, soit pour vingt cents de moins que le prix de tous les journaux qu’il avait voulu acheter – en comptant le Wall Street Journal – il mangerait assez bien. Les journaux, il n’avait plus besoin de les lire: ils avaient généreusement fait mûrir son esprit, c’était fait, et il allait les devenir, les journaux, massivement! De minute en minute, la présence en lui de Bell Rhéa prenait de plus en plus de place, c’était comme si elle le guidait, le portait, l’absorbait, le faisait gonfler, Newspapp s’en trouvait de plus en plus sûr de lui, de plus en plus solide, invincible, inébranlable. Géant.

Géant. Géant.

Émile grimpa lentement, gravement, les escaliers du restaurant en saluant les gens du peuple qui le reconnaissaient dans la cage. Il y avait foule, tant, que Newspapp se cognait aux gens et ils se cognaient à lui, et les gens le saluaient parfois vigoureusement en faisant «aye!», en levant le bras vers lui et en retirant rapidement leurs pieds avec un rictus d’horreur qui augurait bien, Newspapp parfois en vacillait, c’était monstre.

Parvenu en haut, il attrapa élégamment un plateau et commença à défiler solennellement devant les mini-vitrines pleines de plats orientaux.

Puis il songea qu’il n’avait pas d’argent.

Pas un cent.

D’une banalité aplatissante.

C’était pour ça qu’il avait abandonné les journaux sur le plancher à La Maison de la Presse Internationale. Tous les clients le savaient.

Newspapp ne pourrait pas plus se payer à manger qu’il n’aurait pu acheter les journaux. Main gauche ou main droite. Ce simple fait, étrangement nié et refoulé, et qui surgissait soudain dans sa conscience, eut un effet magique sur Newspapp.

Son visage s’illumina, ses yeux brillèrent, une joie gonflante l’envahit: «Je suis un ascète. Comme lui. Par destin. J’ai faim et je ne peux pas manger. Je suis vraiment comme lui, ô Bell Rhéa, ma géante! Comme lui à Vienne! Oh! Bell Rhéa, je vais te réanimer! C’est proche! Je le sens! Mon amour! Il faut piquer! Il faut piquer pour survivre! Il faut! …»

Newspapp s’éloigna brusquement des comptoirs de plats en se tournant d’instinct, comme aimanté, vers la baie vitrée du restaurant.

Rhéa!

Elle était là!

Il la voyait!

Elle lui faisait signe!

Elle couvrait toute la baie vitrée qui donnait sur la rue Sainte-Catherine!

Il la voyait, sanguinolente, lumineuse, resplendissante.

Bell!

Elle!

Toi!

Le corps dressé, irrésistiblement droit, raide, Émile Newspapp se mit à marcher au pas de l’oie vers la vitre et vers la géante, le pouce de la main gauche dans le ceinturon de son jeans, la tête haute, l’autre bras étendu devant lui, les bouts des doigts joints et bien tirés, saluant énergiquement la lumière de Bell Rhéa qui pénétrait massivement comme un niagara et qui coulait par la baie vitrée sur les clients, les tables, les plats, partout.

Newspapp marcha de plus en plus vite en criant quelque chose, des clients se rappelèrent après coup; Newspapp courait maintenant à toute vitesse, la patte haute et tournoyante, le corps droit comme un majeur, fonçant comme un bolide, comme une sorte de moulin ou de machine impeccablement mue, sans cesser de hurler: «Piquons! Piquons vers la rue! Ô mes dindins, mes dindons, mes dindes! Piquons! Piquons vers la géante, embrochons-nous! enfonçons-nous en elle! Géants! piquons vers la rue! Rhéa! La prophétie s’accomplit! En cet instant! Je te nimes!»

Émile Newspapp heurta comme un bloc de granite la grande baie vitrée qui vola en miettes et il passa tout droit de l’autre côté.

Tout de suite après, presqu’en même temps, trois étages plus bas, en entendit: «Kraplotch!»

Puis, venant de très, très loin, et de partout autour, un cri de triomphe, comme venu d’un autre monde, qui vibrait, résonnait : «Je suis gigantesque et célèbre! Rhéa! Ma Bell Rhéa! Jetée, tu m’as! Haaaa!! mes dindins! mes dindons! nous régnons!»

Le soir même, Émile Newspapp, et un enregistrement de sa voix fait par hasard, passaient aux nouvelles de dix heures, et plus tard sur tous les canaux, avant les nouvelles du sport et avant les reprises des prouesses des athlètes olympiques à Séoul, et en reprises multiples. Le lendemain, il était dans tous les journaux. Transformé en couleur et en encre. En union intime avec les tripes, le foie effiloché, le corps gigantesquement encré, orgasmant, massivement réanimé et ré-entexté, de Bell Rhéa.

Dans les masses microscopiques de fils, de synapses, de nerfs, de neurones dans lesquels Newspapp venait de s’étendre et de se répandre à demeure, dans les têtes molles des milliers de lecteurs qui, la tasse de maxouèlehasse à la main, contemplaient, en mangeant leurs oeufs du matin, ou en suçant leur rouge à lèvres, la photo de son cadavre 100% sûr, Émile Newspapp établissait son gigantesque royaume planétaire et celui de son enveloppante Maîtresse, maîtres des esprits, maîtres des galères, noirs d’encre, noirs de gloire, monarques absolus des esprits et du monde.

Montréal, Québec, 20 septembre 1988
Saint-Zénon, Haute Matawinie, 26 juillet 2011


© Copyright 1988, 1989, 2011 Hamilton-Lucas Sinclair (Loup Kibiloki, Jacques Renaud, Le Scribe), cliquer.  Essentiellement: toute exploitation commerciale interdite.


Des oeuvres de fiction de Jacques Renaud qu’on trouve sur ce blog : 

Le Cassé, la novella, avec les nouvelles; la vraie version originale et intégrale, la seule autorisée par l’auteur.   —   Le Crayon-feutre de ma tante a mis le feu, nouvelle.   —   L’Agonie d’un Chasseur, ou Les Métamorphoses du Ouatever, novella.    –   La Naissance d’un Sorcier, nouvelle.   —   C’est Der Fisch qui a détruit Die Mauer, nouvelle.   —   Émile Newspapp, Roi des Masses, novella.   —   Et Paix sur la Terre (And on Earth, Peace), nouvelle.   —   L’histoire du vieux pilote de brousse et de l’aspirant audacieux, nouvelle  –  Le beau p’tit Paul, le nerd entêté, et les trois adultes qui disent pas la même chose, nouvelle  —  La chambre à louer, le nerd entêté, et les quinze règlements aplatis  —   La mésange, le nerd entêté, et l’érudit persiffleur   –  Jack le Canuck, chanson naïve pour Jack Kerouac,  poème  —    L’histoire de l’homme qui aimait la bière Molson et qui fut victime de trahison   –  Loup Kibiloki ( Jacques Renaud ) :  La Petite Magicienne, nouvelle;  La Licorne et le Scribe, nouvelle.


Beaucoup de poèmes de Jacques Renaud ( Loup Kibiloki )


Sur Le Cassé de Jacques Renaud, des extraits de critiques

Jadis, la liberté d’expression régnait dans ma ruelle, ou La ruelle invisible

Le Cassé de Jacques Renaud : le vrai, le faussé, le faux  (A-t-on voulu détruire la carrière de l’auteur ?)

Sorel : En 2012, on y censure Dieu et Edith Piaf. En 1971, on y censurait Le Cassé de Jacques Renaud…

And on Earth Peace, Le Cassé, le joual, Jacques Renaud  (Sur Jacques Renaud, l’époque du Cassé, le “joual”.)


Loup Kibiloki ( Jacques Renaud )  :    Plusieurs suites poétiques de Loup Kibiloki ( Jacques Renaud )   –  Beaucoup de poèmes de Jacques Renaud ( Loup Kibiloki )  –  Des poèmes à Shiva –   Des histoires, des comptines, des contes.  En prose ou en versets libres.  Parfois bizarres, parfois pas.   –   Toutes les terrasses du monde s’ouvrent sur l’infini. On va prendre un café ensemble. Poème. « Toujours, tu rencontreras Rimbaud dans les rues vermillonnes et safranées de Marrakech … »


Suites poétiques, Loup Kibiloki ( Jacques Renaud )  :   Les Enchantements de Mémoire  – Sentiers d’Étoiles  –  Rasez les Cités  –  Électrodes  –  Vénus et la Mélancolie  –  Le Cycle du Scorpion  –  Le Cycle du Bélier  –  La Nuit des temps  –  La Stupéfiante Mutation de sa Chrysalide


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